Alors que le débat s’installe à l’Assemblée Nationale autour d’une proposition de loi prévoyant l'instauration…

Accès aux soins : la solidarité territoriale au cœur du pacte du Gouvernement contre les déserts médicaux
Le gouvernement a dévoilé le 25 avril son « Pacte de lutte contre les déserts médicaux », un plan d’action présenté par le Premier ministre François Bayrou qui marque une inflexion significative dans la stratégie nationale face à l’un des défis majeurs de notre système de santé. Ce pacte, qui intervient alors que 6 millions de Français sont aujourd’hui sans médecin traitant, introduit pour la première fois le principe de solidarité territoriale obligatoire pour les médecins et ouvre la voie à une refonte profonde de la formation médicale.
Les déserts médicaux, symbole criant de la fracture territoriale, touchent aujourd’hui des millions de Français, contraints de parcourir des dizaines de kilomètres ou d’attendre des mois pour obtenir un rendez-vous médical. Face à l’aggravation des déserts médicaux, le gouvernement français a dévoilé un pacte ambitieux pour garantir un accès équitable aux soins sur l’ensemble du territoire.
La désertification médicale, longtemps perçue comme un phénomène essentiellement rural, s’est progressivement étendue aux zones périurbaines. Le dossier présenté par le gouvernement révèle que près de 11% des intercommunalités françaises sont désormais considérées à « fort indice de vulnérabilité », ce qui représente plus de 2,2 millions d’habitants. Face à cette situation, le Premier ministre a reconnu un constat sans appel : « Aucun Français ne doit garder le sentiment que lui-même, sa santé, sa vie parfois, sont laissés pour compte par la collectivité nationale. »

Face à cette situation jugée inacceptable, l’exécutif entend répondre par une série de mesures concrètes, articulées autour de quatre axes majeurs qui visent à apporter des solutions tant à court terme qu’à moyen et long terme.
- Diversifier l’origine géographique et sociale des futurs médecins
Le plan prévoit l’ouverture d’une première année d’études de santé dans chaque département français dès la rentrée 2026, ainsi que la généralisation de l’option santé dans les lycées. Cette mesure s’appuie sur un constat documenté : selon une étude récente de l’INSEE citée dans le dossier, 50% des médecins généralistes exercent à moins de 85 km de leur lieu de naissance. En facilitant l’accès aux études médicales dans tous les territoires, le gouvernement espère ainsi favoriser un rééquilibrage territorial à terme. L’objectif est ambitieux : augmenter de 20% le nombre d’étudiants en santé sur l’ensemble du territoire d’ici 2030.
- Instaurer une solidarité territoriale obligatoire
Le pacte introduit une innovation majeure dans notre système de santé avec la mise en place d’une mission de solidarité obligatoire pour tous les médecins. Concrètement, ceux-ci devront consacrer jusqu’à deux jours par mois pour exercer dans les zones prioritaires identifiées comme « rouges » par les Agences Régionales de Santé (ARS), en lien avec les préfets et les élus locaux.
Cette mesure, qui sera mise en œuvre dès 2025, représente un changement de paradigme significatif. Plutôt que d’opter pour une contrainte à l’installation – solution régulièrement évoquée mais jamais retenue – le gouvernement fait le choix d’une responsabilité partagée par l’ensemble de la communauté médicale.
- Moderniser les organisations pour libérer du temps médical
Le plan prévoit plusieurs mesures visant à réduire les tâches administratives des médecins et à mieux utiliser les compétences de l’ensemble des professionnels de santé. Parmi les mesures phares, on note la suppression des certificats médicaux « ne reposant sur aucun fondement juridique ou médical », l’élargissement des missions des assistants médicaux (avec un objectif de 15 000 assistants déployés d’ici 2028), et l’extension des compétences de nombreuses professions paramédicales.
Par exemple, les pharmaciens pourront désormais délivrer directement des traitements pour certaines affections courantes, comme les rhinites allergiques saisonnières. Les infirmiers en pratique avancée pourront réaliser des primo-prescriptions en structures d’exercice coordonné.
- Créer des conditions d’accueil attractives pour les professionnels
Le dernier axe du pacte vise à faciliter l’installation et l’exercice des professionnels de santé dans les territoires sous-dotés. Il prévoit la mise en place d’un « Guichet numérique unique d’aide à l’installation » dans chaque région, le développement d’internats ruraux pour héberger les étudiants en stage, et des mesures pour sécuriser l’exercice des professionnels face aux violences.
Sur ce dernier point, la proposition de loi qui sera examinée au Sénat en mai prévoit notamment l’aggravation des peines encourues pour des faits de vol et de violences contre les professionnels de santé, ainsi que l’extension du délit d’outrage.
Des résultats attendus dès 2025
Le gouvernement estime que ces mesures permettront de générer potentiellement 50 millions de consultations supplémentaires par an pour les zones sous-dotées, avec une priorité donnée aux « zones rouges » qui devraient voir leur situation s’améliorer en deux ans.
Les 3 700 « docteurs juniors » qui entreront en quatrième année d’internat de médecine générale à partir de novembre 2026 devraient assurer jusqu’à 15 millions de consultations par an, principalement dans les zones sous-dotées. Le mécanisme de solidarité territoriale devrait quant à lui permettre de générer jusqu’à 30 millions de consultations supplémentaires.
Pour s’assurer de l’efficacité du dispositif, le gouvernement s’engage à un suivi précis de la mise en œuvre du plan et de ses effets, avec une publication trimestrielle des indicateurs à l’échelle départementale. Parmi ces indicateurs figurent notamment la réduction du nombre de patients en ALD sans médecin traitant, l’augmentation de la file active moyenne des médecins libéraux, ou encore la diminution du délai moyen d’accès aux spécialistes.
La mise en œuvre de ce pacte nécessitera l’adoption de plusieurs textes législatifs au cours de l’année 2025. Certaines mesures pourront être prises par voie réglementaire, mais la plupart des dispositions devront être intégrées à différents projets et propositions de loi déjà programmés, notamment le projet de loi de simplification de la vie économique, la proposition de loi « Améliorer l’accès aux soins dans les territoires » déposée au Sénat, ou encore les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2026.
L’originalité de ce pacte réside dans son approche globale et coordonnée, qui mobilise plusieurs ministères et niveaux de gouvernance. « La lutte contre les déserts médicaux doit être collective, ambitieuse et résolue. Elle ne saurait reposer uniquement sur le secteur de la santé : elle interroge notre manière d’aménager le territoire, d’organiser la mobilité, de soutenir l’installation des professionnels, de faire vivre les services publics de proximité », a souligné François Rebsamen, ministre de l’Aménagement du territoire et de la
Pour Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, « ce pacte contre les déserts médicaux repose sur trois convictions fortes : former davantage, mieux répartir, mieux accompagner. Il incarne notre volonté collective de garantir à chaque Français un égal accès aux soins, indépendamment de son lieu de vie. »
« Aujourd’hui, face aux enjeux d’accès aux soins que rencontrent des millions de nos compatriotes, dans les territoires périphériques mais aussi périurbains, notre responsabilité est de leur donner les moyens d’agir. Trop souvent, l’accès aux soins pour les Français se heurte à des délais inacceptables, à des distances infranchissables, à des découragements silencieux. Cette réalité, je l’ai vécue comme médecin, je veux la résoudre aujourd’hui comme ministre. » ajoute Yannick Neuder ministre de la Santé et de l’Accès aux soins.
Ce plan marque indéniablement une nouvelle approche dans la lutte contre les déserts médicaux, avec des mesures qui touchent à l’ensemble des leviers disponibles : formation, organisation des soins, compétences des professionnels et aménagement du territoire. Son succès dépendra toutefois de sa mise en œuvre effective et de l’adhésion de l’ensemble des acteurs concernés, au premier rang desquels les médecins eux-mêmes, dont certains pourraient voir d’un œil critique l’instauration d’une solidarité territoriale obligatoire.
Pour consulter ce Pacte de lutte contre les déserts médicaux, c’est par ici >
Regard de Guillaume de Durat sur ce pacte
La situation des déserts médicaux en France est préoccupante, malgré les nombreuses initiatives législatives depuis 2017, comme la proposition de loi Garot et le pacte gouvernemental. Les mesures manquent d’efficacité, et la précipitation dans leur mise en œuvre est critiquée. La France doit repenser son système de soins, en tenant compte des évolutions démographiques et des ressources disponibles. Les outils numériques en santé ne sont pas encore optimisés pour répondre efficacement aux besoins des patients, notamment ceux avec des comorbidités multiples. La profession médicale évolue, mais la régulation de l’installation des médecins et les obstacles géographiques demeurent problématiques. Pour surmonter ces défis, une approche intégrée impliquant divers ministères et secteurs, ainsi qu’une collaboration à long terme, est essentielle.
Partons sur un bon point : les politiques (ré)agissent. Après la proposition de loi Garot sur les déserts médicaux (dont le ministre de la Santé s’était opposé à l’adoption de son article 1er) voilà le pacte sur les déserts médicaux du gouvernement. Depuis 2017 pas moins de 18 propositions de loi à l’assemblée, deux groupes d’études de 135 et de 144 parlementaires. Le tout sans grand effet.
Moins bon point : la précipitation.
Ne pas confondre précipitations et rapidité. La rapidité n’exclue pas l’efficacité. La précipitation toujours.
Un pacte, c’est d’abord et juridiquement un accord. La levée de boucliers de la part des médecins devant les mesures prévues dans le texte ne présente pas les conditions habituelles d’un accord ou les parties se réjouissent des progrès accomplis de part et d’autre.
La France est un désert médical (encore plus depuis 10 ans), dès lors, ce qui était exceptionnel et pas supportable pour une partie des Français, devient une anomalie au niveau national. Peut-on encore parler de déserts médicaux, au pluriel.
Dans le même esprit, les solutions qui pouvaient être envisagées il y a 10 ans ne sont plus les mêmes. Il faut se poser la question de l’organisation des soins en France, et repenser le « système ». Nous n’aimons pas le terme d’ « offre de soins » à titre personnel car il ne s’agit pas ici de proposer partout quelque chose mais plus de répondre à un « besoin de soins ». La sémantique à son importance.
La mentalité des médecins a changé en 10 années : on ne parlait pas de temps de travail en 2017 lors de nos premières universités, de conditions d’installation oui, de la promesse d’une aide importante du numérique en santé pour aller chez les patients ou au-devant. C’est devant ce premier écueil que notre think tank avait vu le jour avec des professionnels de santé, des patients, et des industriels.
Le développement de la e-santé n’est pas aussi abouti que l’on pourrait le souhaiter sans que l’on puisse faire porter la faute que sur les uns ou les autres. Les promesses de révolutionner la santé numérique tout en remettant l’humain au cœur sont comme les lendemains qui chantent. La Cour des comptes dans un récent rapport relevait que pour les seules téléconsultations, leur part dans l’offre de consultation occupe une place modeste et en érosion depuis la fin de la pandémie de covid-19 jusqu’à atteindre un niveau inférieur à celui fixé par la convention d’objectifs et de gestion passée entre l’État et la Cnam pour la période 2019-2022.
Une équipe de l’AP-HP s’est intéressée elle à la pertinence des outils numériques en santé pour les patients avec plusieurs comorbidités : une patiente avec cinq maladies chroniques devrait utiliser au moins treize applications et sept outils connectés pour un suivi médical efficace. Une situation « peu réaliste », selon les auteurs qui invite à réfléchir à l’approche des soins numériques.
Reste alors les facteurs humains, qui sont les plus compliqués à gérer.
Les médecins restent une catégorie à part des professionnels de santé : ils détiennent un pouvoir supérieur sur les autres professionnels, ils bénéficient d’une procuration sur le compte de l’assurance maladie par le truchement de l’ordonnancier. De là, une aura sur tous les autres, pharmaciens, infirmières,…
La profession se salarie, le numerus apertus ne va finalement pas tant changer les choses car le mode d’exercice en solitaire n’est plus de mise.
La proposition de loi présenté par M. Garot, sans aborder la régulation de l’installation (mais elle existe pour les pharmaciens…) occulte le fait qu’un médecin généraliste qui part à la retraite faisait 70 heures de travail. il faudrait qu’il soit remplacé par deux nouveaux et non un.
La question de faire venir des médecins 2 jours par mois voit également une opposition naitre. C’est presque une seule question de jours si on en croit Médecins Solidaires pour qui ce serait presque plus facile de faire venir des médecins de l’autre bout de la France une semaine que pour 2 jours.
Les mesures géolocalisées– comme la liaison aérienne Dijon-Nevers sont utiles (semble-t-il) mais tellement couteuses, limitées.
En revanche ce qui n’a pas changé, ce sont effectivement les difficultés de déplacement. Elles sont structurelles pour tous : lignes SNCF Paris-Clermont, paris Limoges, Bordeaux-Lyon qui n’existe plus. Elles sont démographiques car population vieillit et se déplace moins facilement
Dès lors
- Pourquoi pas faire comme pour l’école Polytechnique ou l’ENA et consacrer un temps professionnel à l’État
- Pourquoi ne pas systématiser les stages, susciter des vocations mais parallèlement regarder le niveau d’engagement de dépenses des nouveaux médecins (car on ne peut nier une certaine approche comptable). Autant les Français peuvent comprendre qu’on ne compte pas pour des soins, autant ajouter des surprimes aux primes, elles même en sus des cotations spécifiques…est moins facile à admettre.
- La délégation de tache passe toujours mal.
Mais à regarder les propositions des syndicats de médecins comme celui de la CSMF, il y a beaucoup des choses à prendre bien sûr, et cela mérite de travailler ensemble, tous ensemble, avec une vision à 10 ou 20 ans. C’est vertigineux pour qui n’a jamais fait de programmation industrielle (du nucléaire à l’armement) ou de la R&D…c’est vrai que c’est tellement plus long qu’un mandat…et qu’un maroquin.
Enfin on parle de plusieurs ministères, il ne faut pas occulter l’aménagement du territoire (et pas que dans les mots) les transports, les télécommunications (connexion si si !), les écoles, les commerces. Il faut prendre le problème dans son ensemble. Le patient est aussi un citoyen… rappelait un député pour qui craignait que cette détresse ne se transforme en mécontentement dans les urnes.
La grande question du jour est en réalité… peut-on décréter la solidarité ?
Revivez la conférence de presse du 1er ministre