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Avis tranché : « Déserts médicaux : la coercition, la fausse bonne idée »

Alors que le débat s’installe à l’Assemblée Nationale autour d’une proposition de loi prévoyant l’instauration d’une régulation à l’installation des praticiens, voici pourquoi la mise en place d’une politique coercitive ne peut être que contre-productive face aux difficultés d’accès au soin.

Les  déserts médicaux ou zones sous dotées aujourd’hui sont de plus en plus présents aussi bien du côté des métropoles où les délais de rendez-vous médicaux s’allongent constamment que des territoires entiers où il faut attendre des mois pour consulter un généraliste, où la moindre urgence devient une angoisse logistique, et où l’hôpital de proximité est devenu un souvenir.

Face à cette crise profonde, une tentation ressurgit régulièrement dans le débat public : forcer les jeunes médecins à s’installer là où l’État en a besoin. Une solution facile à formuler, politiquement rentable — mais dangereusement simpliste. Car s’il est un sujet où la coercition est non seulement inefficace, mais contre-productive, c’est bien celui de la santé.

L’idée paraît logique sur le papier : l’État finance les études de médecine, il pourrait donc imposer une période de “remboursement” via des installations obligatoires dans les zones sous-dotées. Le raisonnement serait implacable… s’il ne reposait pas sur un malentendu total sur les réalités du terrain.

Un médecin n’est pas une pièce de puzzle qu’on place où l’on veut sur une carte. Il est un humain avec un conjoint, une famille, des attaches, des préférences. Croire qu’on résoudra la désertification médicale par la punition, c’est ignorer pourquoi ces zones sont désertées : isolement, manque d’infrastructures, services publics à l’agonie, absence de projet de vie viable.

Envoyer de jeunes médecins à reculons dans des zones qu’ils n’ont pas choisies, c’est aussi prendre le risque d’ajouter du mal-être à une profession déjà sous pression. C’est leur dire, en somme : « Vous êtes des outils, pas des citoyens. » Un médecin contraint n’est pas un médecin engagé. Et un médecin désengagé soigne moins bien, part plus vite, ou quitte tout simplement la profession.

La coercition ne crée pas de vocation. Elle érode la passion. Elle transforme un métier de soin en devoir militaire. On envoie déjà des internes exténués dans des services hospitaliers à flux tendus ; demain, on les forcera à ouvrir des cabinets dans des communes qu’ils quitteront dès la fin de leur obligation. À quoi bon ?

Plutôt que d’agiter le bâton, il serait temps de sérieusement investir dans la carotte. Créer de véritables incitations : fiscalité allégée, aides au logement, accompagnement du conjoint dans l’emploi, gardes mutualisées, présence d’écoles, accès à la culture. Bref, rendre ces zones non pas supportables… mais désirables.

Et surtout, écouter les médecins. Beaucoup seraient prêts à s’installer en zone rurale si l’environnement de travail et de vie suivait. La France ne manque pas de médecins par vocation, elle manque de conditions pour exercer sereinement.

Le drame des déserts médicaux est bien réel, et il exige une réponse forte. Mais cette réponse ne peut être autoritaire. Il ne s’agit pas d’envoyer les médecins « au front », mais de reconstruire un territoire attractif autour d’eux. Sinon, nous ne ferons que déplacer le problème… ou empirer la crise.

Soigner la France, ce n’est pas contraindre ses soignants. C’est leur donner envie d’y croire, avec nous.

Rémy Teston

VP Université des déserts médicaux et numériques

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